Un détour par le son

Kevin Lorengel - Campfire at night

« Pendant cent mille ans, les gens ont raconté des histoires autour d’un feu de camp ; aujourd’hui, les médias sont notre feu de camp. » Gloria Steinem

Il fait nuit et tout près le feu crépite. Sa chaleur pique vos pieds nus et vous préférez celle, plus naturelle, des personnes assises à côté de vous. Le frôlement de leurs épaules contre les vôtres est familier et réconfortant. À quelques mètres de vous, une femme vous narre une vieille guerre, la plus terrifiante, celle contre les bêtes de l’obscurité — elle sait si bien les décrire, ces menaces que vous n’avez jamais vues, qu’autour du feu un silence religieux et tendu s’est installé. Vous n’attendez que l’arrivée du demi-dieu ayant apporté la lumière quand soudain, derrière vous, quelque chose grogne. 

Le vent souffle ce matin et la mer est agitée. Le froid humide s’infiltre dans vos vêtements, mais vous ne pouviez pas manquer cette réunion hebdomadaire au bord de la crique. Assis sur l’un des gros cailloux glacés qui parsèment le bord de la falaise, toute votre attention est pour votre ami qui se tient dos aux vagues et raconte avec grande solennité les derniers contes de sa grand-mère, celle qui a été enterrée hier, loin de l’Église qui ne voulait pas d’elle. Quand il commence à parler des esprits marins, vous frissonnez. Une bourrasque avale sa voix, et tout autour de vous l’air semble ricaner de votre peur.

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L’après-midi est à la torpeur. Il fait lourd, l’air est chargé d’électricité, et vous êtes allongé.e sur le divan près de la fenêtre, écoutant d’une oreille distraite votre compagne lire à voix haute le petit roman trouvé dans le grenier de votre nouvelle maison. Sa voix est assez douce pour presque vous endormir mais, malgré vos paupières lourdes, ses murmures compatissants pour les pauvres âmes mortes dans une demeure refusant de les voir partir vous garde éveillé.e. Elle tourne une nouvelle page, le bois du vieux plancher grince, et l’horloge dans le coin de la pièce égrène chaque seconde… Dehors, enfin, l’orage commence à gronder.

Kevin Lorengel - Be careful little eyes

Vous avez appris à ignorer les bruits du poêle lorsqu’il est allumé. Tandis que vous brossez les cheveux humides de votre fille, vous écoutez avidement la voix grave de votre poste de radio qui, d’un ton guilleret, conclut le feuilleton du soir. L’épisode sur le mystérieux extra-terrestre était trop court, mais le suivant va démarrer après une courte pause musicale. Les premières notes s’élèvent dans la pièce, votre fille fredonne en cœur, et le poste de radio grésille. Vous bougez l’antenne. Le son est discordant, et d’autres voix se glissent parmi les ondes, criantes, suppliantes… Vous tapez le poste, poing et cœur serrés. Et maintenant, reprend le présentateur, un nouvel épisode de votre feuilleton préféré !

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Nous sommes en 2021 et aujourd’hui encore il existe un attrait certain pour toutes ces histoires que l’on nous raconte à voix haute. Une fois n’est pas coutume, nous aimerions donc quitter les mots écrits et se pencher sur le pouvoir d’une histoire bien contée. L’écrit et l’audio ont, après tout, une similarité clé : chaque médium laisse toute sa place à l’imagination de la personne recevant le récit. Parfois, cela permet même de réhausser l’histoire… Et s’il y a un genre en particulier pour lequel l’imagination est le meilleur allié, c’est bien évidemment l’horreur. 

Bien qu’encore très peu développé en France (à notre grand regret), il n’a fallu que peu de temps après l’essor premier des podcasts pour que des créateurs s'emparent de ce médium et inventent de nouvelles histoires pour faire peur. En commençant bien sûr par des versions audios des célèbres creepy pastas, de courtes histoires d’horreur racontées en un seul épisode — on citera No Sleep, pour le monde anglophone, ou encore Dans le Noir, en français. Et puis, lentement, on a vu apparaître des histoires plus longues, chroniques horrifiques et absurdes, comme le célèbre Welcome to Nightvale, où Cécil, animateur radio, nous conte la vie quotidienne et inquiétante de son étrange ville. Certains créateurs jouant avec le principe même du podcast, créant une histoire reposant sur du found fountage, comme The White Vault, tandis que d’autres continuant la tradition des feuilletons audios, tel que Unwell. 

Kit Buss - The Magnus Archives

Qu’ils parlent d’entités trop différentes pour la compréhension humaine, de villes conscientes et malveillantes torturant leurs propres habitants, ou prennent partie d’un récit plus intime où l’horreur est introspective et presque douce, les podcasts d’horreur se multiplient et l’engouement pour ceux-ci ne faiblit pas. Il y en a désormais pour tous les goûts. Et leurs succès se basent sur toutes les qualités que nous attendrions d’un bon narrateur, un soir de veillée, en nous asseyant au coin du feu... Le bon ton, le bon rythme… et la bonne ambiance. Car sans image, c’est bien par le son qu’un podcast emballe notre imagination et nous donne des frissons dans le dos de la nuque. 

En l’honneur d’Halloween, nous avons donc décidé de vous faire une petite liste de podcasts effrayants, à écouter seul ou à plusieurs, au beau milieu de la nuit ou en plein jour en faisant la vaisselle. Bien malheureusement, ceux-ci sont en anglais. Néanmoins, si la langue de Shakespeare vous échappe, n’hésitez pas à aller écouter la petite pépite de cinq épisodes qu’est Forêt/Cache/Arbre, un podcast d’horreur créé par Alice Kudlak, racontant les inquiétants déboires de trois adolescentes vivant à la campagne. Une rare découverte française qui, nous l’espérons, encouragera d’autres créateurs à prendre leurs micros pour nous faire peur dans le futur… 

Athena Cannon - Welcome to NightVale

Les recommandations des Titanides : 

The Magnus Archives - Rusty Quill

I am in Eskew et The Silt Verses - Eskew Productions Ld

Old Gods of Appalachia - Deepnerdmedia

Unwell - Hartlife NFP

The Six Disappearances of Ella Mccray - Jamie Killen

Palimpsest - Jamieson Ridenhour et Hailey Heninger

Hello from the Hallowoods - William A. Wellman 

The Mistholme Museum of Mystery, Morbidity and Mortality - That’s not canon productions

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