Nos méchants bien-aimés

Next-LVL - Nox, 2016


Les méchants sont les héros d’une histoire qui n’a pas été racontée.


Il semble qu’il ne pourrait exister de héros sans méchant. Un antagoniste malfaisant révélant par contraste toute la valeur et l’incarnation héroïque du protagoniste. Un personnage destiné à s’opposer dans ses convictions, ses actions et ses valeurs au personnage du gentil. Un combat entre le bon et le mal personnifié par des créatures de chair et d’os (à quelques exceptions près…) en constante lutte. Néanmoins, qu’en est-il de cette figure de « méchante » ? Qu’en est-il de sa définition et des caractéristiques qui le représentent ?

S’il devait être donné une caractéristique principale, c’est que le méchant est celui qui fait le mal. Que les intentions soient louables ou non, les actions mises en œuvre interrogent la morale. Mais cette figure malveillante est-elle la représentation d’une nature inaliénable ou la succession d’actes mauvais qui forment cette méchanceté ? Atavisme ou déterminisme ? De la même manière que le héros ne peut échapper à son destin, le méchant est-il condamné à faire le mal ? 

Dès notre enfance, les histoires placent des figures archétypales fortes, formant un premier écueil de valeurs morales qui devront nous guider toute notre vie. Des dogmes éthiques instillés pour ériger la différence entre le bien et le mal. Les contes d’autrefois revêtaient cette fonction de permettre aux enfants de faire la différence entre ces deux opposés. Aussi les histoires peuvent-elles conter les péripéties de héros soumis à des grands périls, souvent face à la figure du méchant. L’antagoniste ne poursuit d’autres motivations que celles d’une malveillance innée, souvent à l’origine de magie ou de pouvoir. Nous pourrons songer aux enfants Hansel et Gretel qui durent échapper à l’appétit vorace de la Sorcière qui ne possédait d’autre raison à sa cruauté qu’une bonne grosse dalle. (Mais après tout, qui n’a jamais eu faim dans sa vie ?) Le héros s’extirpe de ses griffes à renfort de courage, de noblesse d’âme et prouve par là le triomphe de la gentillesse et de l’espoir sur les sentiments les plus obscurs ; et bien que tentés parfois par les attraits des ténèbres, le bon l’emporte sur le mauvais. Ces choix exposent tout le courage qu’il faut pour ne point céder à la méchanceté, entrevue comme une solution de facilité, une défaite face à l’amour et autres nobles sentiments. Après tout, un grand sage n’aurait-il pas un jour dit : « N’aie pas pitié des morts, Harry. Aie plutôt pitié des vivants, et surtout, de ceux qui vivent sans amour. » ?

 

Théodore Hosemann - Hansel et Gretel, XIXème siècle

Ainsi, les méchants font peur. Ils sont amoraux. Ils sont cruels. Mais ne sont-ils que cette catégorie morale répréhensible qui permet de juger de ce qui est bon ou de ce qui est mauvais ? N’ont-ils que pour seule fonction d’auréoler les qualités des héros ? Si le méchant est là pour justifier la présence du héros, l’inverse n’est pas vrai. Autonome. Souvent solitaire. Déterminé. Parfois simplement pour assouvir une soif de mal, parfois pour défendre un idéal glorieux par des moyens plus discutables. Que pouvons-nous déduire de cette ambivalence forgée par nos plus séduits antagonistes ? Il faut sûrement savoir discerner plusieurs profils de méchants.

Dans nos œuvres de fiction, le méchant est généralement l’incarnation profonde d’un mal qui s’est cristallisé en un être vivant. Un être assoiffé de chaos, de destruction et de pouvoir. L’œuvre du Seigneur des Anneaux de Tolkien présente le personnage de Sauron, odieuse force obscure. Le récit prend des allures manichéennes, faisant s’affronter lumière et ténèbres, espoir et désolation dans un univers qui prône le courage, même des êtres qui paraissent les plus insignifiants, pour parvenir à renverser le cours des événements. Si l’œuvre ne nous dévoile qu’un aspect du Seigneur des Ténèbres, le Silmarillion offre une histoire à cet esprit déchu, fidèle serviteur du dieu déchu Morgoth avide d’un pouvoir que seule la possession de l’Unique peut lui octroyer.

Mais l’évolution des œuvres nous donne à voir des récits plus nuancés et des figures maléfiques qui se métamorphosent. Ils deviennent les héros d’histoires où le monde les aura fait souffrir et cette peur même d’être anéantis à nouveau les conduit à défigurer leur nature. Un triomphe de la peur sur leurs valeurs, amenant damnation et destruction. Les créateurs proposent de plus en plus cette réécriture pour motiver une empathie du spectateur pour l’antagoniste, par exemple dans le film Maléfique des studios Disney qui retrace les origines d’une de nos méchantes préférées. Il est donc question de s’attarder plus en détails sur l’histoire des méchants et de leur rendre justice en balayant l’idée d’une personnalité fondamentalement mauvaise. Parfois même le méchant saura faire amende honorable et se ranger du côté des gentils.

 

Cristi Balanescu - Army of the Golden Lion, 2016


À présent, les histoires tendent de plus en plus à nous révéler l’histoire des méchants, forçant là notre affection pour ces personnages pas si éloignés de nous. Souvenirs douloureux, trahisons, pertes, douleurs, jalousie… Voici là les grands thèmes pour concocter un méchant capable d’incarner autre chose qu’un ressort scénaristique destiné à enrayer les plans du gentil. Il peut même faire douter le héros dont l’idéal est malmené. Tout un ensemble de nuances qui se retrouve par exemple dans l’œuvre devenue célèbre de Le Trône de Fer de George Martin. Des méchants iconiques font leurs apparitions, entre Geoffrey, LittleFinger, Jaime Lannister, Tywin Lannister, etc. Pourtant, si un bon nombre sont destinés à ne réclamer que nos vœux de mort violente, d’autres savent évoluer et gagner en subtilité. Les frontières morales deviennent poreuses, voire ambivalentes.

Jonglant entre fanatisme, intellect, démence, le personnage du méchant s’érige en miroir de notre société, explorant notre notion du bien et du mal. Ils savent aussi bien susciter notre colère, que notre peur, notre dégoût, voire notre empathie. Un mécanisme cathartique qui nous pousse à l’affection de ces personnages dont la souffrance les guide vers de mauvais choix ou de mauvaises actions. L’image secrète de nos désirs refoulés, anéantis et impossibles à exécuter dans notre société (fort heureusement). Une fascination ensorcelante pour ces méchants qui pourraient chacun être un peu de nous…

 

Marvel Studios, Jessica Jones, 2017



Les recommandations des Titanides :

Collection Villains - Disney

Mordred - Justine Niogret

Les Liaisons dangereuses - Pierre Choderlos de Laclos

Les Hauts de Hurlevent - Emily Brontë

Dracula - Bram Stoker

Le Parfum - Patrick Süskind

L’étrange cas du docteur Jekyll et M. Hide - Robert Louis Stevenson

Barbe Bleue - Charles Perrault



Bibliographie :

Wafu, Ankama

Harry Potter et les reliques de la mort, J.K. Rowling

Hansel et Gretel, Les frères Grimes

Le Seigneur des Anneaux, J.R.R. Tolkien

Silmarillion, J.R.R. Tolien

Maléfique, Studios Disney

Le Trône de Fer, George Martin

Jessica Jones, Marvel Studios

https://vonguru.fr/2015/04/30/gentil-mechant-de-lhistoire-de-nouveaux-heros/

http://streamsescp.com/briller-en-societe/aimons-autant-mechants/

https://www.madmoizelle.com/fascination-mechants-843121



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