Les recommandations des Titanides spécial Noël n°3 - L’Ours et le Rossignol de Katherine Arden

Katherine Arden – L’Ours et le Rossignol, Éditions Denoël


« L’espace d’une respiration, le vent lui raconta une histoire : une histoire de vie et de mort mêlées, d’une naissance en fin d’année. » L’Ours et le Rossignol, Katherine Arden


Résumé éditeur : Au plus froid de l’hiver, Vassia adore par-dessus tout écouter, avec ses frères et sa sœur, les contes de Dounia, la vieille servante. Et plus particulièrement celui de Gel, ou Morozko, le démon aux yeux bleus, le roi de l’hiver. Mais, pour Vassia, ces histoires sont bien plus que cela. En effet, elle est la seule de la fratrie à voir les esprits protecteurs de la maison, à entendre l’appel insistant des sombres forces nichées au plus profond de la forêt. Ce qui n’est pas du goût de la nouvelle femme de son père, dévote acharnée, bien décidée à éradiquer de son foyer les superstitions ancestrales.

Une première voix commence pour nous transporter dès les premiers mots dans l'univers du conte et du mythe. Une histoire, racontée par la vieille gouvernante Dounia, auprès du feu tandis que l'hiver cingle contre les carreaux des fenêtres, fait craquer le bois de la chaumière et que son jeune auditoire se blottit près du poêle. Les légendes slaves de jadis imprègnent l'atmosphère dès les premières pages pour nous glisser vers un univers de légendes et fantastique pour qui peut le voir… Comme Vassia, protagoniste de ce roman, qui possède des attributs de sorcière et le don de la vue. Ainsi ne lui était-il guère curieux de converser avec les esprits dès sa plus tendre enfance qui veillent à la protection de son foyer, et à toutes les créatures qui peuplent une forêt si mystérieuse et mystique.

Le merveilleux s'empare du roman, nous offrant un voyage surprenant entre la rudesse et la cruauté d'une existence dans les froides terres d’une Russie médiévale, et la poésie d'une nature vivante, fertile mais impitoyable.

Au cœur de ce roide quotidien, l'hégémonie de l’Église vient affronter les traditions séculaires d'un village qui, s'il priait Dieu avec moins de ferveur jusqu’alors, ne pleurait pas tant d'un besoin de repentance et du poids du péché. Un monde en lutte perpétuelle entre la rigidité imposée par l'Église et le respect des traditions païennes qui permettent à un petit peuple de vivre, de prospérer, de protéger ou de jouer. Car la nature, au travers de toutes ses formes, peut se montrer aussi nourricière que retorse. Tout ce qui existe ne vit que parce que le monde y croit. Et dès lors que les croyances sont étouffées, les esprits s'évaporent et laissent la place aux démons, à la nuit et à la terreur...

« Rien ne change, Vassia. Les choses sont, ou ne sont pas. La magie, c'est oublier que quelque chose a été autre chose que ce que l'on désire. » L’Ours et le Rossignol, Katherine Arden

 

Rosiethorns88 - The Bear and the Nightingale, 2019


C'est au travers du regard de Vassia, l'une des dernières filles de Piotr, chef de son village, que l'autrice interprète cette légende qui provient tout droit du folklore russe. Les noms, les lieux, les rituels et les traditions y sont représentés avec toute l'humilité d'une autrice qui souhaite simplement s'inspirer et rendre hommage à de vieux contes et légendes. Sa plume retrace l'épopée de Vassia qui sera jugée de sorcière par sa belle-mère et le nouveau prêtre en ces lieux, le père Konstantin ; là où la soif de liberté, l'expression de soi chez une femme est jugée comme hérésie et sorcellerie. Pourtant, au travers de son don, Vassia ne fait que tenter de préserver ce que l'obsession malsaine d’un prêtre dévot pour le Christ tente de détruire par tous les moyens.

Car depuis son arrivée au village de Vassia, la volonté du père Konstantin est de bouter les anciennes croyances pour retrouver le chemin unique du Seigneur. Cette bataille contre l’attachement aux rituels du folklore local annonce cependant une menace qui plane sur les terres de Piotr Vladimirovitch. En effet, à mesure que les traditions se perdent au profit d’une croyance monothéiste, les esprits protecteurs n’ont plus de raison de vivre, ni même le Seigneur de l’Hiver ; car tout ce qui existe n’est que parce qu’il y a des gens pour y croire. Les pouvoirs de ces gardiens invisibles s’amenuisent et le danger du retour de l’Ours gangrène le quotidien de toute cette communauté, se muant peu à peu en des ténèbres cauchemardesques.

« Toute ma vie, on m’a dit “Viens” et “Va”. On me dit comment je dois vivre et on me dit comment je dois mourir. Je dois être la servante d’un homme et sa jument pour ses plaisirs, ou me cacher derrière des murs et abandonner ma chair à un dieu froid et silencieux. Je préférerais encore me jeter dans la gueule des enfers, si c’était de ma propre volonté. Je préfère mourir demain dans la forêt plutôt que vivre cent ans de la vie qui m’a été choisie. » L’Ours et le Rossignol, Katherine Arden



Lilithsaur - Let’s go see the world, 2020


Ce roman nous transporte avec poésie dans ce qui prend les allures d’un conte, mais pas tel que nous pouvons les connaître. Nulle place pour la naïveté ou une douceur enfantine. La cruauté de l’hiver enrobe un décor qui subit la menace terrifiante de celui qui se fait appeler l’ « Ours » ou le « Borgne ». Un démon redoutable qui s’éveille progressivement d’un sommeil séculaire pour anéantir tout ce qui vit, assécher les âmes, amener un hiver éternel et troubler le repos des morts.

Vassia se dessine telle une héroïne atypique, un esprit libre qui fait fi des convenances et des devoirs qui lui incombent. Elle se trouve animée d’un profond sens de la justice et d’indépendance ; et plus que tout, d’un courage qui n’est pas dénué de peur, mais motivé par un amour profond par sa famille. Le thème de la place de la femme, bien qu’il ne soit pas l’enjeu principal du roman, s’inscrit au travers de l’œuvre et expose toutes les forces, qu’elles soient sociétales, religieuses ou surnaturelles, contre lesquelles elle doit se battre. Car les contes, les légendes et les rêves semblent avoir fait d’elle l’unique créature capable de conjurer le fléau qui s’étend insidieusement… Les relations entre les différents personnages y sont toujours touchantes, et on y retrouve également toute la complexité du système familial à une époque si normée par les conventions. Le roman n’a pas vocation à tisser une intrigue complexe, mais bien à nous faire voyager dans un autre univers, une culture nordique au sein d’une fantasy moins côtoyée… Une agréable lecture d’hiver qui se poursuit en deux tomes suivants : La Fille de la Tour et L’Hiver de la Sorcière… de quoi rêver encore un peu et être emporté dans des légendes de l’hiver…

« Tu es. Et parce que tu es, tu peux t’engager où bon te semblera, dans la paix, l’oubli ou les lacs de feu, mais tu en feras toujours le choix. » L’Ours et le Rossignol, Katherine Arden

 

Alessandra Baccaglini - The Bear, the Witch and the Winter King, 2021



Les recommandations des Titanides :

La Fille de la Tour - Katherine Arden

L’Hiver de la Sorcière - Katherine Arden



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