Les recommandations des Titanides spécial Noël n°2 - La Maison Hantée de Shirley Jackson

Shirley Jackson - La Maison Hantée, Éditions Rivages/Noir


« Hill House paraissait s'être construite toute seule, s'érigeant selon ses propres plans entre les mains de ses bâtisseurs. Elle avait surgi par sa propre volonté et dressait sa gigantesque tête contre le ciel, sans rien concéder à l'humanité. C'était une maison dénuée de bienveillance, qui n'était pas destinée à être habitée, ne pouvait accueillir ni amour ni espoir. Les exorcismes sont impuissants à modifier l'expression d'une maison. Hill House resterait telle qu'elle était jusqu'au jour de sa destruction. » Shirley Jackson, La Maison hantée


Quatrième de couverture :  Construite par un riche industriel au XIXe siècle, Hill House est une monstruosité architecturale, labyrinthique et ténébreuse, qui n'est plus habitée par ses propriétaires. On la dit hantée. Fasciné par les phénomènes paranormaux, le docteur Montague veut mener une enquête et sélectionne des sujets susceptibles de réagir au surnaturel. C'est ainsi qu'Eleanor arrive à Hill House avec ses compagnons. L'expérience peut commencer. Mais derrière les murs biscornus, les fantômes de la maison veillent et les cauchemars se profilent...


Publié pour la première fois en 1959 aux États-Unis, puis seulement près de vingt ans plus tard en France, en 1979, par les Éditions du Masque, La Maison Hantée (The Haunting of Hill House dans sa version originale, un titre un peu plus vendeur, on ne va pas se mentir) est considéré comme un véritable classique de l’horreur gothique moderne. Il a été écrit par Shirley Jackson, romancière américaine ayant aussi publié d’autres titres célèbres comme Nous avons toujours vécu au château et La Loterie et autres histoires. 


On y suit principalement Eleanor, une jeune femme d’une trentaine d’années, solitaire par circonstances plus que par choix, qui a décidé d’accepté l’invitation étrange du docteur Montague pour passer l’été au sein d’une maison à la sinistre réputation. Sont aussi de l’expérience Theodora, une artiste extravertie avec qui Eleanor s’entend immédiatement très bien, et Luke Sanderson, qui doit un jour hériter de la maison. Nos quatre protagonistes vont très vite se rendre compte que ce que l’on dit sur la maison est loin, très loin d’être exagéré — et Eleanor, plus que les autres, va comprendre toute l’emprise que peut avoir un lieu sur une personne. 

 

Seaquestions - Untitled, 2022


La maison hantée est un roman qui est, somme toute, plutôt court. Néanmoins, tout comme les héros du roman, lorsque l’on réalise que l’on arrive vers la fin et que seulement sept jours se sont passés pour eux — une petite semaine, et sept ou huit chapitres pour le lecteur — un vague sentiment de confusion et malaise s’installe. Si peu, vraiment ? Les événements ont pourtant pris leur temps pour s’installer ;  il y a d’abord eu tout ce long voyage qu’Eleanor fait pour arriver, son premier souffle de liberté après des années à prendre soin d’une mère malade ; il y a eu la rencontre avec le docteur, et Theo, et Luke. L’exploration de cette maison trop grande, aux dimensions qui font froncer le sourcil et se perdre facilement si l’on s’y promène seul. 


Et puis les bruits étranges. Les pièces où l’on n’ose pas mettre un pied à l’intérieur. Le froid qui réside à l’entrée de l’ancienne nurserie. Les intendants du lieu qui refusent d’y passer la nuit. Et ces mots, juste pour Eleanor. Et Eleanor… qui déteste la maison. Qui aime la maison. Qui en est terrifiée. Qui s’offre à elle. Qui souhaite avec tant de ferveur faire partie de ce petit groupe, et qui s’en éloigne davantage chaque jour… 

  

Il n’y a aucun doute : l’auteur maîtrise l’art de la terreur. Elle offre au lecteur tous les éléments caractéristiques d’une maison hantée, sans se retenir. Le vrai frisson, en revanche, vient de vivre ces événements à travers les yeux d'Eleanor, ce qui est le cas pour la majorité du livre. Car il arrive un moment où l’on comprend qu’on ne peut plus faire confiance à Eleanor pour nous décrire ce qu’il se passe réellement… Mais quand ce moment est-il arrivé ? Était-ce dès qu’elle a réussi à passer le grand portail menant à Hill House ? Était-ce lors de la première nuit, ou plus tard, quand la maison commence à s’intéresser à elle en particulier ? Il y a dans l’écriture de Jackson une fluidité de l’émotion et de l’action qui nous entraîne tout autant que notre protagoniste vers une fin inéluctable dès le début du livre, sans que l’on ne le réalise vraiment. Ce qui paraît un début lent, progressif, appuyant sur la psychée de notre héroïne en particulier, ressemble déjà à un piège qui se referme sur nous lorsque l’on y repense plus tard… 

 

Space-sheep08 - Doodles, 2022



Au-delà d’accomplir sa mission de faire frissonner, le roman possède deux qualités qui font qu’il se démarque d’autres histoires de ce type. 


Tout d’abord, sa fin. Une chute qui attrape à la gorge, qui fait réfléchir et qui questionne — chacun peut y trouver son interprétation et en débattre — et qui s’inscrit parfaitement dans le rythme du livre. C’est cette fin qui fait qu’Hill House reste dans les esprits, bien après avoir posé le roman. Hill House… Et Eleanor. 


Car, oui, la deuxième grande force de La Maison Hantée, ce sont ces personnages, et principalement sa protagoniste et les relations qu’elle développe au cours du roman. Il y a quelque chose de si humain chez cette jeune femme qui n’a jamais pu vivre pour elle, qui est si joyeuse au début du livre d’enfin vivre une aventure. C’est une femme qui rêve, qui désire, qui a dans le creux de la poitrine un torrent d’émotions qui ne semble avoir attendu que cette terrible maison pour commencer à se déverser. Eleanor veut vivre. Eleanor veut être aimée, veut faire partie d’un groupe, veut être heureuse. Elle ne sait pas forcément comment s’y prendre, son passé fait qu’elle n’est pas aussi à l’aise ou sociale que Theo ou Luke, et elle se sent souvent embarrassée. Mais elle est aussi déterminée. De tous les personnages, c’est certainement Eleanor qui attend le plus de cette expérience dans ce roman, et la maison s’en rend bien compte. Et, peu à peu, ses envies et attentes sont renversées, modifiées, exacerbées, jusqu’à arriver à leur conclusion enfiévrée. 


Cela ne se voit jamais aussi clairement que sa relation avec Theodora, dont la progression tout au long du roman est le plus grand indicateur de ce qui se passe avec Eleanor et la maison. On notera d’ailleurs — car cela est une plaisante surprise pour 1959 — que bien que tout soit implicite, l’on comprend très vite que “l’amie” avec qui Theodora vit dans sa vie courante est sa compagne, et il est très facile de lire la tension romantique sous-jacente qui naît entre elle et Eleanor. Un non-dit qui ajoute encore plus de saveur à ces deux personnages déjà incroyablement intriguants. 

 

Space-sheep08 - Untitled, 2022


Alors oui, Halloween est passé ; La Maison hantée est un classique d’horreur, qui ne peut même pas s’accorder aux sombres jours de novembre, puisqu’il se passe en plein été. Mais c’est l’un de ces livres qui se lit vite et qui reste en vous pour des années. Un incontournable du genre, qui montre avec brillance que l’imaginaire, le fantastique et le surnaturel peuvent parfois être entièrement mis au service des personnages plutôt qu’une plus large intrigue. Qu’ils peuvent être des outils peu ordinaires pour nous offrir le bouleversant portrait de notre simple, fragile, et terrifiante humanité. 

 

Lionart - journeys end in lovers meeting, 2022



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