Les recommandations des Titanides n°5 - La Neuvième Maison de Leigh Bardugo

Leigh Bardugo - La Neuvième Maison, Éditions De Saxus

 

« Il n’est pas de porte que le diable ignore. Le mal est toujours à l’affût du moindre interstice dans lequel glisser le pied. » Leigh Bardugo, La Neuvième Maison


Résumé : Alors qu’elle se remet de ses blessures à la suite d’un massacre inexpliqué, Alex Stern se voit proposer d’intégrer l’université de Yale au sein de la Maison Léthé. Cette société secrète a pour mission de contrôler l’usage de la magie au sein des huit autres maisons que compte la prestigieuse institution. La jeune femme doit cette position enviable quoique dangereuse à un talent très particulier : elle peut voir les fantômes. Mais un soir, elle est témoin d’un meurtre d’une violence rare. Son enquête la confrontera à des forces qui défient l’imagination… 


La Neuvième Maison est le premier tome d’une nouvelle série par Leigh Bardugo, l’autrice des désormais célèbres livres Six of Crows et Grisha. Publié en 2020 par les Éditions de Saxus, le roman se détache de ses prédécesseurs en nous faisant entrer dans un monde plus adulte, cette fois-ci fermement ancré dans notre réalité, malgré l’existence de la magie. En effet, si Leigh Bardugo n’a jamais essayé d’éviter les sujets sombres dans ses romans, en offrant généralement à ses personnages des vies difficiles, avec une bonne dose de traumatisme, on a la réelle sensation de franchir une nouvelle étape avec La Neuvième Maison


Ici, on ne se contente pas d’explorer les cicatrices douloureuses des personnages. Celles-ci influencent bien sûr toutes leurs décisions, mais elles sont aussi souvent parfois des plaies encore béantes, et l’histoire y plonge les doigts dedans avec une froide nécessité. Dans ce New Haven revisité, peu de temps est offert à nos héros pour panser leurs blessures, bien au contraire. L’intrigue leur demande de rester debout et d’aller jusqu’au bout de leurs actions, malgré la douleur qui les poursuit. Et, bien sûr, pour ceux dont les cicatrices sont anciennes — rien n’empêche d’en créer de nouvelles. Pourtant, au milieu de cet univers dangereux, sans grande compassion, on retrouve tout de même cette patte caractéristique des ouvrages de l’autrice : une mise en avant claire et assumée de la loyauté, de la solidarité et de l’amitié farouche pour survivre à un monde injuste, où l’égoïsme et la solitude forcée finissent par être votre perte. 

 

PhantomRin - The Queen of Pointlessness, 2021


Le résumé ne fait pas réellement justice à l’ouvrage. Tout d’abord, le récit n’est pas linéaire ; nous suivons en effet Alex, nouvellement élève à Yale, alors qu’elle tente d’apprendre les us et coutumes d’un tout nouveau monde magique, dissimulé derrière les belles portes respectables d’une des plus grandes universités des États-Unis… Mais sous le regard de Daniel Arlington, surnommé par tous Darlington, le mentor d’Alex, son Virgile, qui essaie de lui apprendre tout ce qu’il sait… Et qui, dans le présent, lorsqu’Alex reprend la narration, a mystérieusement disparu quelques mois plus tôt…    


Ensuite, bien que l’enquête sur le meurtre d’une jeune femme en dehors des prémices de l’université prenne de plus en plus d’importance au court du récit, Bardugo prend tout d’abord beaucoup de temps pour établir et poser son monde, les différentes maisons de Yale, leur historique, la façon dont elles utilisent la magie, etc. Cela entraîne des premiers chapitres très denses, sans cesse remplis de nouvelles informations et de nouveaux noms, et qui demandent une attention toute particulière. En somme : il faut s’accrocher. 


Bien que le récit se déroule bien dans notre monde, il est empreint jusqu’au bout des ongles d’une culture américaine que l’on ne maîtrise pas forcément, et ce même si nous connaissons le monde des grandes universités de par un nombre incalculable de séries, films, et livres diffusés chez nous. Il faut donc réussir à s’imprégner de cette atmosphère si particulière pour réussir à suivre tous les tournants et aboutissants des différentes intrigues qui composent le roman. Parfois, certaines conclusions des personnages laissent un peu à désirer : on se demande comment ils ont réussi à faire le lien logique entre tel et tel évènement et remarque, et on sent que l’intrigue leur demande simplement d’avoir leur révélation maintenant. Et pourtant ! Pourtant, lorsque l’action débute, elle ne s’arrête plus, ne laisse plus personne respirer, et il devient très difficile de poser le livre — le signe d’une histoire qui, si elle a ses faiblesses, a réussi son pari et nous garde à sa botte jusqu’à la toute fin. 

 

Pchepi - She was his queen, 2022

 

Néanmoins, et peut-être sans grande surprise, lorsque l’on connaît les oeuvres précédentes de Leigh Bardugo, et surtout Six of Crows, ce qui fait la réelle force de cet ouvrage, ce n’est ni le monde ni l’intrigue mais bel et bien ses personnages, et notamment les deux personnages principaux, Alex et Darlington. On s’attache à l’un et l’autre rapidement et à leur dynamique — à la fois mentor et élève, à la fois companions-malgré-eux, amis et peut-être le soupçon de plus que ça avant la disparition abrupte du jeune homme. L’une a vécu son adolescence dans les bras d’un dealeur de drogues, à tenter d’oublier par la fumée les fantômes qui l’entouraient et le traumatisme lié, ignorant une mère aimante qui aurait aimé l’aider. L’autre a grandi dans un manoir décrépi, avec un grand-père à la forte personnalité et des parents absents, fasciné par sa propre ville et la magie qu’il souhaitait désespérément voir exister. L’une est une survivante, l’autre est un gentleman né à la mauvaise époque, et si leurs personnalités clashent sans surprise, on comprend vite comment ils arrivent à se compléter au fur et à mesure de l’évolution de leur relation. Chacun d’eux est intéressant à sa propre façon, et l’on se prend à vouloir qu’ils obtiennent tout ce qu’ils désirent — Darlington, les connaissances cachées sur sa ville chérie, Alex, enfin la paix et la stabilité. 

Enfin, bien que l’on peut s’imaginer aisément qu’une romance plus explicite sera développée dans les prochains tomes de la série, ce qui frappe le plus dans ce roman ce sont bel et bien les amitiés, et notamment les amitiés féminines. C’est sur ce point que le roman passe de « bonne lecture » à « lecture à recommander ». Tout autour d’Alex gravitent différentes femmes, toutes avec des personnalités différentes, la première d’entre-elle étant Dawes, ou Pammie, ou Oculus — la troisième branche du trio des jeunes élèves de Léthé. Bien que l’on puisse avoir crainte d’une rivalité pour les affections de Darlington au début de roman, cette crainte est très vite effacée par l’amitié grandissante entre elle et Alex tout au fil du roman. Le soutien que se portent les deux jeunes femmes est rafraîchissant et extrêmement enrichissant. À cela s’ajoute Hellie, cette amie qui manque tant à Alex et qui imprègne encore énormément le récit de sa présence. Et puis les colocataires d’Alex, tout un petit groupe d’étudiantes qui ne savent rien des activités magiques de leur camarade, un peu moins développées peut-être par nécessité, mais qui montrent cette même loyauté les unes envers les autres qui donne sincèrement un vrai baume au cœur. 


Somme toute, à aucun moment du récit on ne laisse notre héroïne « forte et indépendante », endurcie par une vie bien compliquée, toute seule. Le récit est une ôde à l’entraide, au refus d’abandonner parce que « c’est comme ça que les choses fonctionnent » ou « parce que c’est trop tard » ou « que ça ne sert à rien ». Dans ce monde où beaucoup aimerait garder leur statu quo en place car ils en ont tous les bénéfices et peuvent d’un geste de la main et d’un beau billet en gommer les conséquences, tous ces jeunes gens refusent d’être avaler par le même système, et si ce n’est pas facile pour eux, cela en vaut réellement la peine à la fin.   

 

PhantomRin - The Student, 2021


La suite de La Neuvième Maison est prévue pour 2023, et nous avons hâte de découvrir dans quel nouvel enfer Leigh Bardugo va plonger ses personnages, et comment ils réussiront à s’en sortir. 

 

Leigh Bardugo - Hell Bent, Flatiron Books



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