Les Monarchies Imaginaires

Alexander Tsaruk - Kingdoms, 2022


« Les rois n'ont pas d'amis, seulement des sujets et des ennemis. » George R.R. Martin, Le Trône de Fer, tome 4 - L'Ombre maléfique.


Il était une fois un sage roi, une méchante reine, une magnifique princesse, un charmant prince… Dès notre plus jeune âge, la monarchie fait partie de notre imaginaire. Les histoires racontées sont des univers magiques où tous les possibles membres de la famille royale sont principalement des archétypes : on ne questionne pas leur raison d’exister, le système qui leur permet d’exister tout court — ce n’est pas le but du conte pour enfant, du conte de manière générale d’ailleurs, où chacun joue son rôle et sort très peu des chemins connus. Si l’on voulait être pointilleux, on pourrait même dire : la plupart des contes (occidentaux) que l’on connaît encore aujourd’hui ont été écrits et racontés à des époques où, si idées républicaines il y avait, elles combattaient encore le poids de tout un historique monarchique remontant à des siècles et des siècles de cela.  


Est-ce cette culture-là qui résonne en nous lorsque nous décidons de construire un univers de fantasy où règnent encore rois et reines, empereurs et impératrices, fidèlement entourés d’une cour de nobles aux ambitions violentes ou frivoles ? Avons-nous été si bien bercés par les histoires de nos enfances que la vision classique de la noblesse et de la royauté vient comme une évidence dessiner le contexte politique dans lequel évoluent nos héros ? Dont font partie parfois nos héros ? Ou bien est-ce notre passé historique, résolument monarchique, qui influe de façon innée sur notre vision de la fantasy, de la même façon que le présent façonne les histoires fantastiques s’ancrant au réel, ou que nos attentes et nos peurs pour le futur créent les histoires de science-fiction ?

     

Yefumm - Throne room, 2011

 

La monarchie n’a pas toujours le même poids selon l’histoire que l’on veut raconter. Il y a, bien sûr, celle de la Fantasy la plus classique possible : celle qui existe au centre de l’histoire sans jamais être questionnée. Les héros ou les héroïnes sont de dignes héritiers des romans chevaleresques d’antan. Les vicieux nobles côtoient les braves chevaliers, les mauvais rois sont vaincus par les vaillants et bons princes qui prennent à leur tour la couronne. Si nuances de gris existent, elles ne sont cependant pas là pour causer de trouble dans le système ; à la fin de l’histoire, quelqu’un est toujours assis sur le trône. Sans forcément créer un tableau parfait de la monarchie, celle-ci a tout de même le monopole de la politique. 


Dans cette même optique, mais en changeant le point de vue, l’on retrouve aussi souvent la monarchie découverte de l’intérieur par le héro ou l’héroïne de « basse naissance ». La figure du peuple, rejetée, méprisée, surpassée, tout du moins jusqu’à ce qu’elle apprenne les codes qui lui permettent de survivre : car dans ce type d’histoire, c’est souvent de cela qu’il s’agit. Une survie stratégique en milieu hostile, personnage en sang tentant de nager au milieu d’une mer remplie de requins. Ici la monarchie se révèle souvent dans ses côtés les plus affreux — détachée de la réalité, obsédée par le pouvoir, par l'apparat, par soi-même. Et pourtant, même ici, le personnage principal rencontre le bon prince, la princesse compatissante, etc. Même ici, c’est le personnage principal qui s’adapte et monte les échelons sociaux. Pour changer le système en profondeur ? Non. La monarchie, éternelle, impossible à démanteler, est simplement lissée de nouveau car c’est désormais les gentils, les bonnes personnes qui portent la couronne.


Et puis, enfin, il y a la monarchie contre laquelle il faut se battre. Celle qui est arbitraire, injuste, totalitaire, violente, où la noblesse est corrompue et les héros sont ceux qui rejettent entièrement le système. C’est là où l’on peut suivre les petites gens, les révolutionnaires, mais aussi les bandits, les voleurs, les escrocs — souvent ceux qui ont été personnellement, intimement blessés par les méfaits d’un pouvoir aveuglé par sa propre réflexion. Mais se rebelle-t-on contre un système entier, ou, encore une fois, contre un mauvais roi, ou duc, ou autre noble abusant d’une position qu’il n’a jamais méritée pour commencer… ?   

 

IJKelly - Thicker than Blood, page 1, 2014


Qu’est-ce donc qui continue de nous attirer vers la monarchie fictionnelle ? Qu’est-ce qui fait qu’il est si facile de condamner la monarchie réelle, de condamner l’idée qu’une seule personne, qu’une seule famille, ne devrait pas décider du destin de millions de personnes simplement par vertu de la naissance, mais que l’on ne peut s’empêcher d’écrire rois, princesses et autres dans nos livres ? Est-ce un désir d’explorer le poids de l’héritage, le poids de responsabilités jamais demandées, un destin tout tracé que l’on accepte ou que l’on rejette ? Est-ce l’esthétique même de la richesse, du pouvoir, de la décadence de l’entre-soi et des conséquences sur le reste du monde ? Des conséquences qui ne sont jamais seulement personnelles, quand il s’agit de royauté — il ne s’agit pas seulement de rejeter une union forcée, mais possiblement la paix entre deux royaumes, par exemple. 


Avec une monarchie, le personnel et le politique sont sans cesse intimement liés. Chaque choix compte à plus grande échelle que si le personnage était boulanger dans un petit village. Chaque choix demande possiblement de sacrifier une part de soi-même — ce qui n’est pas forcément le cas si l’on est sur une autre forme de gouvernement où « démissionner » est possible et accepté.


Retrouvons-nous donc si souvent la monarchie dans la Fantasy parce que l’on ne peut envisager d’autres formes de gouvernements, quand la Fantasy moderne se base si souvent sur notre Moyen-Âge, ou bien est-ce parce que nous aurons toujours cette fascination persistante pour l’élite ? Pour les riches et les puissants qui ont, au moins en apparence, absolument tout ce qu’ils désirent à portée de doigts, et qui sont ceux qui ont le « vrai » pouvoir sur notre monde et nos destins ? Puisqu’ils nous laissent rarement indifférents lorsque l’on comprend l’impact sous-jacent qu’ils ont sur notre vie entière, trouvons-nous un certain plaisir à les mettre en scène selon nos propres envies, croyances et valeurs ?  

  

Tanzenkat - From the Balcony, 2014


Il n’y a pas de conclusion évidente à cet article, seulement des questions ouvertes qui, nous espérons, peuvent faire réfléchir sur la présence ou non d’une monarchie lors de la création d’un univers. La Monarchie comme forme de gouvernement dans les histoires est un outil narratif qui peut être absolument fascinant, qui peut permettre d’explorer moult idées et offrir une profondeur immédiate à certains archétypes de personnages. Mais il est vrai qu’elle est si proéminente, si répandue, qu’il est toujours rafraîchissant de découvrir d’autres idées, d’autres types de pouvoir en place, en premier dans les histoires où le système politique n’est pas là pour être questionné, mais aussi — et pourquoi pas — dans les histoires où il y a une place centrale. 


Après tout, un univers de fantasy est une carte blanche à l’imagination ; pourquoi donc se restreindre, quand tout est possible ? Si nos mondes peuvent avoir dragons, elfes et magie, pourquoi pas des contrées sans rois ?  

   

Erion Makuo - Summer King, 2021



Les recommandations des Titanides :

Fondation - Isaac Asimov

Le cycle de Haut-Royaume - Pierre Pevel

La Passe-Miroir : Les Fiancés de l’Hiver - Christelle Dabos

Au guet ! - Terry Pratchett 



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1 commentaire

  • Bravo… Une idée de livre donc ?

    Corinne

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