Les contes de fées, quel usage ?
John Collier - La Belle au bois dormant, 1921
« La vie ressemble à un conte ; ce qui importe, ce n'est pas sa longueur, mais sa valeur. » Sénèque
Les contes de fées ou contes merveilleux… De nombreuses images peuvent venir à l’esprit à leur évocation. Sans doute que la version la plus popularisée nous parvient de Walt Disney, qui a su revisiter de très nombreux contes de fées en les adaptant à l’écran sous la forme de dessins animés. Ainsi, notre enfance a été tapissée de princesses, de princes, de royaumes en péril, etc. Dès lors que l’histoire s’achève, et après de nombreuses épopées, les héros parviennent à trouver leur « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Néanmoins, lorsque l’on se penche un peu sur les versions originelles de ces contes, on se rend compte que l’histoire n’est pas tout à fait la même et que la part de rêve s’égare ; voire même qu’elle est un peu terrifiante. Et très souvent, la réaction va être : « mais il est horrible le conte original ! »
En effet, la magie se perd quelque peu lorsque l’on sait que les belles-sœurs de Cendrillon se sont mutilées les pieds pour pouvoir enfiler la pantoufle de vair, ou encore que Peter Pan est un esprit de la mort… Les histoires sont, pour la plupart, très cruelles, et peuvent même sembler amorales selon nos mœurs modernes. Mais qu’en était-il vraiment de l’usage de ces contes destinés aux enfants ? Quel était le véritable objectif derrière ces histoires presque effrayantes ?
Franz Jüttner - Blanche-Neige dans la forêt, 1910
Tout d’abord, il est bien important d’intégrer que le conte de fées ou bien conte merveilleux est un sous-genre du genre littéraire du conte. Le conte en lui-même narre une histoire sous la forme d’une épopée, d’une légende, d’une histoire de vie, qu’elle soit sous une forme longue ou bien d’une nouvelle. Ce n’est que lorsque la magie et le surnaturel viennent s’immiscer au cœur du conte qu’il devient merveilleux ou de fée. Une manifestation miraculeuse, un fait magique, un évènement enchanteur va venir caractériser ce sous-genre qui trouve ses racines jusque dans la Préhistoire et qui a traversé les âges, d’abord sous la forme orale, puis progressivement par écrit. Aujourd’hui, nous en avons des traces littéraires à partir du Moyen-Âge, notamment au travers des récits de Chrétien de Troyes dans son cycle relatant les aventures arthuriennes et de ses chevaliers. On retrouve le thème du merveilleux un peu partout dans ses histoires, comme lorsque Perceval doit faire face à des manifestations surnaturelles en passant la nuit dans un château animé de magie.
Mais les contes, dans leur forme la plus popularisée et récente au cœur de la littérature, nous parviennent de Mme Leprince de Beaumont, Hans Christian Andersen, Madame d’Aulnoy, Charles Perrault, les frères Grimm, Marie-Jeanne L’Héritier de Villandon ou encore Henriette-Julie de Castelnau de Murat. C’est principalement au XVIIème siècle qu’intervient cette volonté de restituer au merveilleux sa place dans la littérature. Bien que le conte de fées semble évoquer la magie et la douceur, il n’en est pas moins empreint d’une certaine violence et d’une dureté affirmée alors qu’il se destine à un public enfantin. Il n’est pas rare d’y rencontrer des scènes très dures, voire à caractère sexuel, l’évocation du désir sous couvert d’un voile d’onirisme.
Margaret Tarrant - La Belle et la Bête, 1915
Les analystes ne se sont penchés que tardivement sur la véritable symbolique des contes et le message qu’ils portent vraiment. Jusqu’ici, l’on entendait parler que de la fameuse « morale » qui vient s’apposer à la fin du récit, tel un guide, un manuel éducatif au travers de l’imaginaire. C’est Bruno Bettelheim, dans son ouvrage Psychanalyse des contes de fées (1976), qui théorise véritablement la mission du conte de fées en démontrant que les contes ont une valeur thérapeutique pour l’enfant. Au travers du prisme de la fiction et du divertissement littéraire, les histoires racontées permettent de mettre en forme les angoisses, les peurs, les conflits, la curiosité qui traversent l'esprit de l'enfant et auxquels il pourra inconsciemment trouver des solutions. Ces récits permettent d’éveiller l’imaginaire, d’apporter un sens à la vie et de rendre l’esprit plus fertile. J.R.R. Tolkien, dont Bettelheim s’inspire dans son étude, soutenait lui-même que le conte de fées représentait une étape essentielle dans la construction de l’enfant et qu’il pouvait s’identifier au protagoniste. Ce dernier traverse des aventures qui lui donneront une notion concrète du danger, des forces amies et de celles dont il faut se méfier. En somme, un véritable guide pour savoir identifier ses peurs et un récit à valeur d'enseignement.
Bien que le conte nous paraisse ancien, il a connu de nombreuses mutations et il appartient à un genre très mouvant. Nombreux sont ceux qui en possédaient une définition très différente : soit l’expression d’un retour à la nature, ou encore une ode à la féminité et ses charmes mystiques, ou encore une manière de traiter les étapes de l’enfance. Par exemple, le conte du Petit Chaperon Rouge évoque toute l’ambivalence de la relation à la mère dès lors que survient la puberté, la volonté de s’écarter du chemin évoqué pour s’engager vers une voie moins sûre, plus dangereuse, mais dans l’affirmation de soi. Le loup représente, d’après les nombreux analystes qui se sont penchés sur le sujet, ce premier pas vers une forme de sexualité désirée, à quelque chose d’irrésistible, bien qu’indéfinissable. Si, du premier coup d’œil, il n’est pas très évident de lire tout cela lorsqu’on lit simplement l’histoire d’une petite fille dont la grand-mère a été mangée par un loup, c’est tout notre inconscient qui s’actionne pour faire les liens. Ainsi, le conte de fées impose le merveilleux à la réalité, les fait se conjuguer pour apporter une leçon, un principe symbolique qui se veut essentiel dans la construction du soi. Le conte n’a pas uniquement vocation à faire rêver, à faire voyager l’imaginaire de l’enfant, mais il participe à sa construction intérieure, à son cheminement et à cet apprentissage qui se fait jour après jour. Tout ce qui est intégré au cours de l’histoire, l’enfant sera amené à la retranscrire dans son quotidien, transposant une part de ce qui n’était que fiction vers une réalité plus concrète.
Gustave Doré - Le Petit Chaperon Rouge, 1855
Les recommandations des Titanides :
La psychanalyse des contes de fées - Bruno Bettelheim
Du conte de fées - J.R.R. Tolkien
Faërie - J.R.R. Tolkien
Once Upon A Time - Edward Kitsis et Adam Horowitz (ABC)
Bibliographie :
Cendrillon, Charles Perrault
Cendrillon, les frères Grimm
Peter Pan, James Matthew Barrie
Perceval ou le Conte du Graal, Chrétien de Troyes
Psychanalyse des contes de fées, Bruno Bettelheim
Le Petit Chaperon Rouge, Charles Perrault
Le Petit Chaperon Rouge, les frères Grimm
https://fr.wikipedia.org/wiki/Conte
https://fr.wikipedia.org/wiki/Conte_merveilleux
https://www.cairn.info/revue-le-carnet-psy-2006-6-page-31.htm