Le mépris des lectures de l’imaginaire
Jous Croe - Dune, 2019
« Nous lisons pour connaître la fin, pour l’histoire. Nous lisons pour ne pas atteindre cette fin, pour le seul plaisir de lire. Nous lisons avec un intérêt profond, tels des chasseurs sur une piste, oublieux de ce qui nous entoure. Nous lisons distraitement, en sautant des pages. Nous lisons avec mépris, avec admiration, avec négligence, avec colère, avec passion, avec envie, avec nostalgie. Nous lisons avec des bouffées de plaisir soudain, sans savoir ce qui a provoqué ce plaisir. » Alberto Manguel, Une histoire de lecture
« Vous lisez de l’imaginaire ? C’est bien de lire, mais il s’agirait de grandir un peu. » - « Le fantastique ? C’est avec de la magie, c’est ça ? C’est pour les enfants. » - « De l’imaginaire ? Oui, mes enfants adorent ! » - « Oui, c’est sympa l’imaginaire, mais ce n’est pas de la vraie littérature. »
N’avez-vous jamais entendu ce genre de remarques sur les lectures de l’imaginaire ? N’avez-vous jamais voulu tordre le cou aux personnes qui exprimaient une telle condescendance vis-à-vis du genre ? Que ce soit fantastique, fantasy, science-fiction ou tous les sous-genres qui leur correspondent, ils sont souvent la cible d’un mépris difficile à comprendre. Méprisées par les intellectuels, victimes de préjugés de la part de certains lecteurs, dédaignées par la presse, affichées discrètement par les libraires… Les lectures de l’imaginaire subissent une absence de légitimité dans le milieu littéraire qui les relègue dans une niche de laquelle il est difficile d’extirper ces écrits. Seul le cinéma parvient à offrir ses lettres de noblesse à ce qui est souvent désigné comme de la « pop-culture », voire « culture geek », grâce à de véritables succès commerciaux comme Le Seigneur des Anneaux, de Peter Jackson adapté des œuvres de J.R.R. Tolkien, Star Wars de George Lucas ou plus récemment l’adaptation en série du Trône de Fer de George Martin.
La consécration d’un roman des lectures de l’imaginaire se limite à l’obtention de prix littéraires (une belle reconnaissance déjà, on en convient !) qui estampillent directement l’ouvrage dans un genre prédestiné et l’écartent d’un public plus large. La première et dernière œuvre de l’imaginaire auréolée par les lumières du prix Goncourt, Force ennemie de John-Antoine Nau, a reçu sa récompense en 1903. Cela commence à faire un peu loin, non ? Pourtant, il ne manqua point d’autres auteurs pour alimenter les rayonnages du merveilleux, que ce soit René Barjavel, Mary Shelley, H.P. Lovecraft, Ursula K. Le Guin, J.R.R. Tolkien, Franz Kafkä, Frank Herbert…
Mais comment expliquer un tel dédain pour ces lectures ? Fameux mépris qui ne semble pas récent… Où a-t-il pris sa source ? Et qu’en est-il de maintenant ?
Rory Phillips - Lyra Belacqua, 2013
Nous pourrions difficilement reprocher aux lectures de l’imaginaire d’être un genre particulièrement récent. Si nous connaissons la crainte souveraine de l’humain pour tout ce qui est nouveau, une telle hypothèse ne peut être mise en avant ici, puisque force est de constater que le merveilleux avait déjà pris sa place légitime dans la littérature au travers des romans de chevalerie du Moyen-Âge (des lits qui bougent dans un château, effectivement, ça peut sembler un brin surnaturel), et les contes qui verront le jour quelques siècles plus tard. Sûrement est-ce à cette période du XVIIème et XVIIIème que nous pouvons situer le début de ce qui sera plus tard un mépris pour l’imaginaire. Le merveilleux est relégué uniquement aux lectures de l’enfance à une époque où la raison doit primer sur l’irrationnel et le surnaturel dans le paysage français. Nous devons cette riche idée aux intellectuels de l’époque qui souhaitaient renverser le règne du baroque et l’occulte dévouée aux guerres de religion. L’avènement du classicisme et du réalisme vint contrebalancer cette littérature pour ramener à plus de réel. Ne nous en déplaise car nous avons eu droit aux écrits somptueux de Victor Hugo, Émile Zola, Honoré de Balzac… Toutefois, un manque cruel de merveilleux et de surnaturel a pris sa place, plus particulièrement dans le paysage littéraire français.
La littérature évolue au XXème siècle et des auteurs, comme ceux que nous avons évoqués plus haut, parviennent à faire entendre leur plume. Nous pouvons nous targuer d’avoir un Pierre Bordage dans les rangs de l’Académie française. Néanmoins, les préjugés sont rudes et persistent à travers les années…
Une telle dichotomie (c’est pas faux) qui ne se vérifie guère dans les autres pays, et moins encore dans la culture anglo-saxonne où Shakespeare a su porter avec brio la part d’irréel de ses œuvres à l’époque où les intellectuels français se récriaient de toute forme d’imaginaire. Puis plus tard, J.R.R. Tolkien, Philip Pulman ou encore J.K. Rowling qui ont eu leur place toute désignée dans les salles de classe. Un apprentissage de ces œuvres importantes sans aucun mépris ou aucune défiance. En France, cependant, de tels écrits ont le droit d’être évoqués dans la cour de récréation… Alors quel avenir pour les lectures de l’imaginaire ?
Patricialy Foung - Ophélie et Thorn, 2017
Que faire face à ce constat d’une « élite » intellectuelle qui dédaigne les lectures de l’imaginaire ? Quelle légitimité à cette pensée ? Et comment changer les choses ? Lors de nos précédents articles, nous avons pu écumer tous les bienfaits des lectures de l’imaginaire, le médium qu’elles portent sur le monde, la profondeur de ces œuvres trop souvent dépréciées, si grandioses puissent-elles être. Nous ne reviendrons donc pas sur tout ce qui peut nous apporter les lectures empruntées au surnaturel, et sûrement, chère lectrice ou cher lecteur, vous n’avez pas besoin d’être convaincu de la richesse d’une telle littérature.
Ainsi, la question se pose de savoir comment changer les mœurs et amorcer une évolution dans les us de lecture français. Relégué à un rang de « sous-littérature » les lectures de l’imaginaire ne se seraient-elles pas enfermées dans leur propre identité et avec un public déjà tout choisi ? Aussi bien qu’une certaine population ne souhaite pas s’ouvrir à l’imaginaire, l’imaginaire se ferme-t-il à eux ? Tant d’interrogations légitimes qui permettent de remettre en perspective les habitudes de toute la chaîne du livre jusqu’à ses lecteurs. Ainsi, des solutions sont-elles envisagées dans le pur aspect visuel, tout d’abord en s’attaquant aux couvertures des ouvrages qui se cataloguent bien vite dans la fantasy, la science-fiction ou le fantastique. Certaines maisons d’édition se sont déjà lancées à l’assaut d’une identité graphique plus neutre afin d’attirer le regard d’un nouveau public qui n’attend que d’être séduit. Petit à petit, les mécanismes se mettent en marche…
Mais qu’en est-il des éditions Les Titanides dans tout cela ?
Une fort riche question, ma foi ! Merci de la poser, lectrice ou lecteur averti(e) ! Sous la tutelle de nos déités qui soufflent des idées çà et là à nos oreilles, nous espérons bien amener les littératures de l’imaginaire vers de nouveaux rivages et d’étendre le spectre de notre lectorat. Une grande aspiration : celle de légitimer et de présenter au public des œuvres qui sauront transgresser les barrières invisibles qui se sont érigées entre les genres. Les lectures de l’imaginaire possèdent une place qui leur est due dans les rangs de la littérature, sur les étagères des bibliothèques, dans les salons littéraires et jusque dans les salles de classe. La guerre au mépris et aux préjugés pour donner la voix à des auteurs de talent et des histoires merveilleuses… Chez les Titanides, nous n’avons pas peur de rêver titanesque…
CrazyJN - Hercule Poirot
Les recommandations des Titanides :
Le géant enfoui - Kazuo Ishiguro
Moi, Peter Pan - Michael Roch
Black Out - Connie Willis
Lovecraft Country - Matt Ruff
La traversée des temps - Éric Emmanuel Schmitt
La Horde du Contrevent - Alain Damasio
Tant que le café est encore chaud - Toshikazu Kawaguchi
Bibliographie :
Dune, Frank Herbert
Le Seigneur des Anneaux, J.R.R. Tolkien
Star Wars, George Lucas
Le Trône de Fer, George Martin
À la Croisée des Mondes, Philip Pullman
La Passe-Miroir, Christelle Dabos
Force ennemie, John-Antoine Nau
Perceval ou le Conte du Graal, Chrétien de Troyes
Harry Potter, J.K. Rowling
Hercule Poirot, Agatha Christie
http://oic.uqam.ca/sites/oic.uqam.ca/files/oic1/cf20-5-brault-role_imaginaire.pdf
https://www.ostramus.com/litterature-de-limaginaire-quel-avenir/
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