La fanfiction
Feyrah - A perfect family, 2016
« La fanfiction est ce à quoi la littérature pourrait ressembler si elle était réinventée de rien par un groupe de drogués à la pop-culture brillants, enfermés dans un bunker scellé. Ils ne font pas ça pour l’argent. Il ne s’agit pas de ça. Les auteurs écrivent des fanfictions et les partagent en ligne simplement pour la satisfaction. Ils sont fans, mais ils ne sont pas des consommateurs silencieux des médias, assis sur leur canapé. La culture leur parle, et ils répondent à la culture dans sa propre langue. » Lev Grossman
Avez-vous déjà terminé un livre, une série, un film, ou tout autre type d’histoire en gardant à l’arrière de votre tête une certaine insatisfaction quant à sa fin ? Vous êtes-vous déjà imaginé le futur de certains personnages bien après le terme de leur aventure ? Ou bien avez-vous déjà souhaité explorer les moments non-dits d’une histoire, entre deux scènes cultes ? N’avez-vous jamais pensé « ce personnage mériterait qu’on s’y attarde dessus plus ! » ou « ces deux-là sont faits pour être ensemble, enfin, c’est évident ! » ?
Pour un auteur ou une autrice de fanfiction (ainsi que leurs lecteurs !), une histoire aimée — ou une histoire avec un potentiel attirant et une exécution pas toujours si réussie — est une source inépuisable de « Et si ? ». Un monde à ciel ouvert et non pas contraint par les limitations de ce qu’il se passe en canon (dans le texte même). La fanfiction permet tout. C’est un immense bac à sable où l’un écrit le groupe des Avengers vivant en joyeuse colocation dans la Stark Tower (parfois même en y admettant Loki, parce que le pouvoir de l’amitié est vraiment puissant), l’autre se concentre sur les très sérieuses suites d’Orgueil et Préjugés, qui explorent la vie maritale de Lizzie et Monsieur Darcy ainsi que le futur de leurs familles et amis, et un dernier, très heureux, décrit avec moult détails et sur plusieurs chapitres les ébats d’Harry Potter et Draco Malefoy.
Encore peu discutée et étudiée en France, contrairement au monde anglo-saxon, la fanfiction est pourtant une niche importante au sein des communautés de fans d’histoires, tout genre et époque confondus. Et elle attire en particulier ceux qui aiment déjà l’art de l’écriture — raison pour laquelle nous pensons intéressant de s’y pencher dessus.
Dogsup - The Avengers, 2012
Bien qu’elles aient pu être nommées et/ou considérées comme de la fanfiction, nous ne parlerons pas ici des œuvres publiées ayant puisé leur inspiration dans d’autres histoires plus anciennes (notamment parce que nous pourrions sinon citer beaucoup, beaucoup de titres, allant des romans arthuriens de Chrétien de Troyes jusqu’au populaire Le Chant d’Achille de Madeline Miller, retraçant la vie d’Achille à travers les yeux de Patrocle). La fanfiction telle que nous l’entendons ici, c’est-à-dire des oeuvres écrites par des fans pour être partagées entre fans, connaît ses débuts en même temps que la culture même « d’être fan », au XIXème siècle, avec la popularisation des fictions-feuilletons : on pensera par exemple aux grands fans d’un certain Monsieur Sherlock Holmes, si sidérés et attristés par sa mort que son auteur sera (bien malgré lui) obligé de le ramener à la vie.
C’est néanmoins avec la série Star Trek (oui, encore elle) dans les années 60 que l’on voit apparaître dans les conventions de fans et les fanzines des histoires inventant de nouveaux épisodes, ou explorant avec beaucoup plus de liberté les relations entre le capitaine Kirk et son fidèle second, Monsieur Spock. Dans les années 90, avec l’arrivée d’Internet, l’échange et le partage de fanfictions se démocratisent progressivement, et il existe aujourd’hui plusieurs grands sites permettant de publier ses fanfictions avec facilité.
Il faut préciser que la fanfiction existe dans un flou juridique quant aux droits d’auteur et, notamment au début de sa visibilité croissante, plusieurs grands studios, comme la Warner Bros, ont tenté d’empêcher cette pratique. Certains auteurs sont aussi très fermement opposés à l’idée que l’on reprenne leurs personnages en quelques circonstances : ainsi Anne Rice, de son vivant, a de nombreuses fois demandé à ses fans de retirer de l’espace public les fanfictions qui y avaient été écrites sur ses vampires.
Et à vrai dire, jusqu’à l'apogée d’un certain jeune sorcier, et de son autrice encourageant de façon active l’écriture de fanfictions à son sujet, la fanfiction restait discrète, parfois cachée, pour éviter tout ennui légal. On trouvait encore, pendant une grande majorité des années 2000, des disclaimers en haut des fanfictions spécifiant que l’auteur ne prétendait en aucun cas que les personnages ou le monde sur lequel il écrivait lui appartenait. Aujourd’hui, la fanfiction est cependant reconnue par une majorité des auteurs et créateurs comme une preuve de l’amour et de l’engagement des fans pour le contenu originel, et les craintes judiciaires sont extrêmement minimes, voire inexistantes.
Zverra 28 - Spirk autumn dance, 2019
Pour ceux qui connaissent le monde de la fanfiction mais seulement depuis ses frontières, la fanfiction est encore couverte de préjugés : les histoires y sont mal écrites ; leurs auteurs sont toutes des jeunes adolescentes utilisant la fanfiction comme prétexte pour faire vivre leur OC (« original character », personnage original), très souvent une version fictive d’elles-mêmes, auprès de leurs personnages préférés (d’où la naissance du concept de la Mary-Sue, personnage féminin parfait étant aimé de tous et ne pouvant jamais causer aucun tort) ; les histoires ne sont que de la mauvaise romance ; ou, pire, les histoires ne sont que du porno, du plus doux au plus pervers, sous couvert de romance — quand romance il y a tout court, bien entendu.
Il y a dans cela une part de vrai, bien sûr. Mais, comme tout préjugé, elle cache une réalité bien plus vaste de cet univers si particulier, ou n’importe qui peut utiliser ses personnages préférés pour explorer les confins de son imagination. Il y a des fanfictions écrites par des grands-mères — voire même (ne soyez pas trop choqués) des hommes, des fanfictions qui explorent avec justesse les traumatismes d’enfance de personnages à peine abordés dans l’histoire originelle, et, oserons-nous même le dire ? Des histoires érotiques très bien écrites, aux émotions finement équilibrées entre sexe et grande romance épique.
Pour autant, même si les clichés étaient une réalité, ou, plutôt, même s’ils étaient la seule réalité, nous trouverions toujours plusieurs avantages à s’essayer à l’exercice de la fanfiction, et ce, à tout âge.
Oneoftwo - FC Harry and Luna, 2011
Premier point, sans doute le plus évident : écrire de la fanfiction, c’est écrire. Chaque écrivain le sait, on ne devient pas bon dans l’art de raconter une histoire en jetant des regards exaspérés ou désespérés à la page blanche chaque jour (bien malheureusement). Comme tout style de création, l’art de l’écriture s'apprend à travers la pratique, et la fanfiction offre un terrain particulièrement propice pour apprendre à trouver ses mots, tourner ses phrases, faire vivre ses personnages, etc. sans avoir à faire tout le travail préliminaire de création de l’univers. La fanfiction est indulgente : que l’on écrive une scène où deux personnages mangent des pâtes, ou une grande épopée dans l’espace d’une vingtaine de chapitres, tout convient, puisqu’elle a simplement besoin d’être écrite et de plaire à son auteur pour atteindre son but.
Bien sûr, la fanfiction n’apprendra à personne comment créer ses personnages (bien qu’elle pourra, si l’auteur décide de faire jouer les personnages dans un UA « Univers Alternatif », lui apprendre à créer un monde cohérent) ou même à les introduire à l’histoire — puisque les lecteurs désirés sauront déjà qui ils sont. En revanche, elle sera un exercice très intéressant pour le style de l’écriture (par exemple : une histoire se passant à l’époque victorienne ne pourra être racontée comme une histoire se passant au XXIème siècle), pour la voix des personnages (après tout, il faut tout de même que ceux-ci soient reconnaissables dans leur façon de parler et d’agir par rapport à l’histoire originelle) et, bien sûr, pour le développement d’une intrigue ou des émotions à faire passer aux lecteurs.
Le second point, celui-ci sans doute plus subtile, mais finalement tout aussi important, est que la fanfiction permet de se construire, lorsque l’on est plus jeune, et d’apprendre à exprimer à travers la fiction et les personnages que l’on aime des idées, des concepts, mais aussi des désirs. Son pouvoir sans limite donne aussi l’occasion à certaines personnes marginalisées d’insérer dans leur univers favori la représentation qu’elles n’ont peut-être pas dans l’histoire officielle. Ainsi, pour un jeune homme ou une jeune femme faisant parti de la communauté LGBT+, par exemple, très présente dans le monde de la fanfiction, il peut devenir très important de se projeter sur tel ou tel personnage et partager avec lui, par le biais de la fanfiction, son passif ou ses expériences personnelles.
Enfin, en guise de troisième point, nous conclurons par ce simple constat : la fanfiction est un jeu. Elle peut être un hobby très sérieux comme un loisir dans lequel on glisse un orteil sans jamais plonger complètement. Elle n’est pas, au fond, bien différente du football, ou de la danse, ou de la poterie. Certains veulent devenir excellents, d’autres sont contents de n’aller aux entraînements qu’un dimanche sur deux, en dehors des vacances scolaires. Dans tous les cas, c’est un plaisir personnel né de l’amour ou de l’intérêt pour une histoire (et/ou ses personnages). Qu’elle soit bonne ou mauvaise ne sera jamais le plus important.
L’essentiel, quand il s’agit de fanfiction, ce sera toujours de s’amuser, de créer, et, bien sûr, de ne pas oublier de refermer son livre, d’éteindre sa télé ou son ordinateur, de reposer ses écouteurs, en se demandant : « ...Et si ? »
Sweetlittlekitty - Sherlock
Les recommandations des Titanides :
Bibliographie :
https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2007-4-page-58.htm
Once Upon A Time, Edward Kitsis et Adam Horowitz (ABC)
Avengers, Josh Whedon (Marvel Studios)
Orgueil et Préjugés, Jane Austen
Harry Potter, J.K. Rowling
Le Chant d’Achille, Madeline Miller
Sherlock Holmes, Arthur Conan Doyle
Star Trek, Gene Roddenberry (NBC)
Sherlock, Mark Gatiss et Steven Moffat (BBC)
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