L’espoir d’une fin heureuse

VincentusMatthew- Zemrude, 2021


« - En quoi avons-nous foi, Sam ?

- Il y a du bon en ce monde… Il faut se battre pour cela. » J.R.R. Tolkien, Le Seigneur des anneaux, Les Deux Tours.


C’est souligner une évidence que d’écrire que nous vivons des temps difficiles. Peu importe où nos yeux se posent, on observe un monde qui ne va plus très bien, et des gens qui s’en fatiguent constamment. Dans un tel contexte, il est très peu surprenant que les dystopies, les romans explorant des récits sombres et troublés, et même les personnages aux intentions moins louables que nos gentils protagonistes habituels soient devenus si populaires et peuplent notre univers culturel et littéraire ces dernières années. On s’inspire de ce que l’on ressent, et rien de mieux pour exprimer sa frustration, sa peur, ou sa peine, qu’une vibrante tragédie ou une histoire brutale qui n’a pas peur des dures vérités.  


Mais en s’offrant ces œuvres cathartiques, il arrive parfois qu’on en vienne à en oublier l’intérêt d’un Et ils vécurent heureux jusqu’à la fin des temps. Qu’on commence à voir dans ces dernières scènes sans plus aucun trouble pour les héros une fin ratée, ou ennuyante — ou alors tout au mieux naïve. Car après tout, si l’on ne rechigne pas à une fin heureuse dans les livres pour enfants ou adolescents, on est en droit de s’attendre à un peu plus de profondeur dans un livre adulte, n’est-ce pas ? Les fins heureuses ne sont-elles pas trop simples ? 


Et bien, à vrai dire — pas vraiment. Tout comme les fins tragiques, les fins heureuses ont leur place et un pouvoir tout particulier. Et puisque l’on connaît la force qu’une histoire peut avoir sur un individu, voir sur un groupe entier de personnes, nous partons du postulat que les fins heureuses sont, au contraire, on ne peut plus nécessaires dans notre réalité actuelle. 

 

Atarial - To boldly go where no one has gone before, 2016


En 1966 sort à la télévision une série bien particulière :  Star Trek. Au bord du vaisseau spatial Enterprise, qui deviendra culte pour les fans de l’espace, le capitaine Kirk et son équipe explorent les confins de l’univers. La série est alors avant-gardiste et résolument optimiste sur l’avenir, dépeignant l’humanité unie et porteuse d’un message de paix envers tous ceux qu’elle rencontre. Mais au-delà de ça, elle montre aussi des moyens de communication alors tout à fait extraordinaires, qui inspireront beaucoup la science — et qui font qu’aujourd’hui, la technologie du Star Trek de 1966 nous paraît presque désuète, face à celle que nous pouvons glisser dans notre poche chaque matin avant de partir de chez nous. 


Pourquoi cet exemple étrange ? Tout d’abord, pour montrer à quel point la fiction peut impacter les gens et le monde. Ensuite pour expliquer que le message porté par Star Trek, à une époque où les États-Unis étaient enlisés dans une guerre sans fin, où la ségrégation était toujours vive dans les esprits, n’était pas seulement optimiste, mais révolutionnaire, s’attaquant par le biais de la science-fiction à des politiques qui ne correspondaient aucunement au monde que les créateurs désiraient voir naître un jour. Enfin, que nous avons parfois besoin que quelqu’un imagine d’abord l’impossible pour se donner les moyens de le rendre réel.  


Et qu’est-ce qui paraît aujourd’hui plus impossible qu’une fin heureuse ou un avenir optimiste pour nous ?


Nous ne voulons pas dire que les livres sont si magiques qu’ils fixeront tous nos problèmes (même si ça serait chouette). Et une fin heureuse n’implique pas forcément de nier ou cacher tout ce qui est triste, mauvais, dangereux — au contraire, les fins heureuses les plus satisfaisantes sont souvent celles qui sont obtenues par des personnages ayant souffert tout au long du récit auparavant. Néanmoins, il y a une réelle force à offrir cet havre de paix à la fin d’un roman, tant pour le lecteur que pour les héros qu’il a suivis. De donner un espoir que si les malheurs et les péripéties ne peuvent pas forcément être évités, ils peuvent être surmontés et finir. C’est permettre à tout à chacun de garder une petite flamme à l’arrière de nos pensées. Faire entendre une toute petite voix qui nous dit Tout pourrait bien se terminer. 


N’est-ce pas l’une des raisons pour lesquelles les films Disney, bien que destinés à un public enfant, impactent tout de même autant d’adultes aujourd’hui ? C’est parce qu’ils transmettent, encore et encore, l’idée qu’en communiquant, qu’en s’entraidant, qu’en faisant de notre mieux, les choses peuvent et vont s’arranger. 


Mais enfin, Disney ne sauve pas la planète (...loin de là). Les fins heureuses ne font pas s’éteindre la discrimination, et ne réduisent pas la fonte des glaces (assez rude de leur part, à vrai dire). En revanche, un roman optimiste, un roman qui prend le parti de rêver d’une fin apaisée et apaisante pour ses protagonistes, nous force à nous confronter à une question très simple : et pourquoi pas ? Après tout, si nous voulons faire changer les choses, bouleverser notre réalité pour le meilleur, encore faut-il pouvoir l’imaginer. La résignation est compréhensible, mais il y a une telle force et beauté à se dire « oui, peut-être que c’est foutu. Mais et si ça ne l’était pas ? » 


Ce contrepied au cynisme et au pessimisme, si facilement transmissibles, peut notamment être vu à travers certains courants tels que le « hopepunk », miroir du cyberpunk dont le ton est souvent sombre. Tout aussi vindicatif que son jumeau, le hopepunk part cependant d’une prémisse bien différente : en se battant pour le meilleur, on peut obtenir un résultat bénéfique et changer notre société. C’est aussi le parti pris de la plupart des œuvres de Sir Terry Pratchett, qui, sous le couvert de l’humour et de la légèreté, n’aura cessé de créer des personnages désirant — et réussissant — à faire le bien autour d’eux.


Arlenianchronicles - Sam Vimes and Sybil, 2021


Peut-être qu’au fond, au-delà même d’une fin heureuse, ce dont nous avons besoin parfois c’est simplement cet espoir. L’espoir que, même à notre petite échelle, nous pouvons transformer notre réalité. Que même si nous ne pouvons pas sauver notre planète demain, nous pouvons planter une graine et voir un nouvel arbre grandir dans notre jardin et donner des fruits qui nourriront les prochaines générations. Qu’être une personne douce dans un monde qui vous veut brutal, ou quelqu’un d’empathique dans un univers qui vous préférerait égoïste n’est pas une faiblesse, mais bien une révolte. Que vos bonnes actions ne sont pas vaines.


Les fins heureuses ne sont pas ennuyantes ou dépassées. Tous ces personnages qui se battent pour d’autres, les personnages qui sont naturellement gentils et compatissants, et même les gens qui ont des difficultés à agir de façon bonne et morale mais qui essayent tout de même, quelle que soit leur raison… Pourquoi ne pas leur laisser, au bout du roman, l'accalmie d’une fin heureuse ? Pourquoi ne pas reconnaître le courage que cela demande, tant dans un récit que dans la réalité, d’être optimiste, généreux, ouvert d’esprit ? Pourquoi ne pas reconnaître que, justement, dans le monde où nous vivons aujourd’hui, il serait si bon d’avoir à ses côtés des Harry Potter ou des Sophie Hatter, ou tout autre vibrant personnage qui souhaite avant tout voir leur situation et la situation de leurs proches et du monde s’améliorer ?


Même aujourd’hui, il est important de garder une place au chaud pour les héritiers littéraires d’un Sam Gamgee ou d’un Sam Vimes. Et pourquoi ne pas s’inspirer de leurs actions au passage ? Voire même de se laisser croire, au moins un peu, à un dénouement heureux pour tous. 

phSilvente - Sam and Frodo, 2019



Les recommandations des Titanides :

Annales du Disque-Monde - Sir Terry Pratchett

De Bons présages - Sir Terry Pratchett et Neil Gaiman

Le château de Hurle - Diana Wynne Jones

Matilda - Roald Dahl 

Percy Jackson - Rick Riordan 




Bibliographie :

Star Trek, Gene Roddenberry 

Annales du Disque-Monde, Sir Terry Pratchett

Harry Potter, J.K. Rowling

Le Château ambulant, Hayao Miyazaki 

Le Seigneur des Anneaux, J.R.R. Tolkien

Le hopepunk, un genre littéraire inspirant, L’Astre et la plume : https://www.lastreetlaplume.fr/2020/11/06/inspiration-le-hopepunk/ 


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1 commentaire

  • Juste Wahou !

    Corinne

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